Indépendance de l’arbitre – composition du tribunal arbitral

septembre 24, 2015

Par un arrêt en date du 2 décembre 2014 (Paris, 2 déc. 2014, n° 13/17555, Fibre Excellence), la Cour d’Appel de Paris édicte un devoir de réaction et de diligence à la charge de la partie qui veut contester la composition irrégulière du tribunal arbitral.

Démission de l’arbitre en cours de procédure

Ainsi, dans cette affaire, un arbitre avait démissionné en cours de procédure, à la demande d’une partie, et en raison d’un conflit d’intérêt survenu postérieurement à sa nomination et porté à la connaissance des parties par cet arbitre. Suite à cette démission, le Tribunal arbitral informait les parties que la sentence serait rendue et soumise à l’examen de la Cour d’arbitrage de la CCI et qu’en vertu de l’article 22 (1) du Règlement d’arbitrage, la procédure était clôturée. La CCI ayant écrit aux conseils de parties pour les inviter à formuler d’éventuelles observations sur la composition du Tribunal, en vertu de l’article 12 (5) du Règlement d’arbitrage, aucune d’entre elles ne formula d’observations.

Saisie d’un recours à la Cour d’Appel de Paris

Saisie d’un recours, la Cour d’Appel de Paris a rejeté l’argument selon lequel le Tribunal ayant rendu la sentence était irrégulièrement composé. En effet, elle a estimé que la seule circonstance qu’elle ait demandé la démission de l’un des arbitres n’était pas de nature à la dispenser de prendre parti sur l’application de l’article 12 (5) du règlement d’arbitrage, et donc sur la question de la régularité de la composition du Tribunal arbitral.

Cet arrêt invite les parties à soulever sans tarder les griefs tirés de l’irrégularité de la composition du tribunal arbitral, en respectant les délais posés par le règlement d’arbitrage. Faute de le faire, elles s’exposent à ce que leur demande soit rejetée. La Cour d’appel a fait en outre prévaloir dans cet arrêt des dispositions de l’article 1466 du code de procédure civile, selon lesquelles « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ».

Certains auteurs ont pu estimer trop rigoureuse cette motivation, tant il est vrai que la partie à laquelle était opposée cette sentence avait bien demandé – et obtenu – la démission de l’arbitre, ce qui pouvait également impliquer qu’elle avait, d’un seul tenant, contesté la composition du Tribunal arbitral, sans qu’il soit nécessaire d’exiger d’elle qu’elle conteste encore la décision de laisser le Tribunal rendre la sentence par seulement deux arbitres. Il vient donc rappeler les parties à une certaine rigueur dans la dénonciation des vices éventuels de la procédure, et les inviter à les purger sans délai et précisément.

Indépendance de l’arbitre et du centre d’arbitrage

Une intéressante problématique se posait devant la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 28 janvier 2014, GEMS, n° 12/20550), soulevée par une partie qui mettait en cause le Centre d’arbitrage, en soulignant que le secrétaire en charge du dossier à la CCI, étai un ancien collaborateur du cabinet d’avocats de son adversaire. A travers le Centre d’arbitrage lui­ même était en réalité visée l’indépendance de l’arbitre, dans la mesure où semble­ -t­il celui-­ci avait été nommé par la CCI alors que le secrétaire avait suggéré son nom.

La Cour ne répond pas directement, mais écarte le moyen, en rappelant que la récusation doit avoir lieu dans le délai d’un mois à compter de la révélation des faits, délai posé par le Règlement d’arbitrage CCI choisi par les parties. La Cour se conforme ici à l’article 1466 du code de procédure civile, selon lequel « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ».

On notera ici qu’en réalité, la question de l’indépendance du centre d’arbitrage ne se pose pas en elle ­même, aucun texte n’exigeant que le Centre soit indépendant (cette question pouvant tout au plus relever d’une question d’éthique de l’arbitrage (v. M. Bühler, L’éthique des centres d’arbitrage, in L’éthique dans l’arbitrage, Bruylant, 2012, p. 89), sauf à ce que cette indépendance constitue un engagement du Centre, stipulé dans son Règlement choisi par les parties). De sorte que l’indépendance du Centre ne peut être envisagée qu’à travers celle de l’arbitre, dès lors que celu-i­ci a été désigné par le Centre d’arbitrage, argument qui était en l’espèce invoqué, pour être rejeté par la Cour faute d’avoir fait l’objet d’une récusation en temps utile.

Validité et autonomie de la clause d’arbitrage

L’autonomie de la clause d’arbitrage répond à un principe bien ancré dans la jurisprudence française, et permet à la clause d’arbitrage de conduire à la compétence du tribunal arbitral alors même que le contrat principal qui la porte serait argué de nullité par une partie. C’est la solution que vient rappeler la Cour de cassation dans un arrêt récent (Civ.1, 14 mai 2014, SAS Hautbois c/ GAEC La Béraudière, Rev. Arb., 2014, p. 937, note Bureau).

Dans cette affaire, la Cour d’Appel de Paris avait annulé une sentence arbitrale, au motif que n’était pas rapportée la preuve du contrat qui la contenait. La Cour rappelle le principe selon lequel « la convention d’arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte est n’est pas affectée par l’inefficacité de celui-­ci ». Reste qu’il est exact que la clause ne pourra effectivement survivre à l’inefficacité du contrat que s’il est démontré que les parties y ont consenti, indépendamment du contrat lui-­même.

En l’absence de consentement sur le contrat, l’échange de consentements sur la clause compromissoire sera rare (on peut imaginer par exemple qu’en cours de négociation, les parties se soient entendus sur une clause compromissoire, laissant d’autres aspects du contrat ouverts à la négociation).

Clause d’arbitrage et rupture des relations commerciales établies

Deux questions importantes étaient envisagées par la Cour d’Appel de Paris, relativement à l’applicabilité et de la validité de la clause d’arbitrage dans un litige portant sur la rupture de relations commerciales établies.

Dans cet arrêt (CA Paris, 1er juillet 2014, Scamark, D. 2014, p. 2544, note Clay), la Cour a tout d’abord estimé applicable la clause lorsque celle-­ci était contenue dans un contrat qui n’avait pas été reconduit, ce qui était à l’origine même du litige. La solution avait déjà été retenu dans un passé proche, dans une affaire Doga (Civ .1, 8 juillet 2010, v. notre Newsletter n°01/11) la Cour de cassation a estimé que la clause s’applique à toutes les suites du contrat, qui sont en lien avec lui.

Dans l’affaire Doga, la clause étai rédigée de façon particulièrement large, ce qui permettait d’en étendre le champ aux litiges non directement contractuels, comme le sont ceux découlant de l’article L.442-­6 du Code de commerce, généralement considérés comme de nature extra­ contractuels. L’arrêt apporte également une intéressante contribution à la question de savoir si la clause d’arbitrage doit être écartée du fait de la compétence exclusive apportée à une liste de juridictions judiciaires par l’article D442-­3 du Code de commerce, qui prévoit que le contentieux de la rupture des relations commerciales établies est réservé à certaines juridictions commerciales désignées, à l’exclusion de toutes autres non comprises dans cette liste.

La Cour d’Appel de Paris considère cependant que la compétence exclusive établie par le Code de commerce a pour « objet d’adapter les compétences et les procédures à la technicité de ce contentieux, mais non de le réserver aux juridictions étatiques (…) ni d’exclure le recours à l’arbitrage ». Voilà une solution qui s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence Doga précitée, qui avait également considéré que le fait que le texte soit considéré comme étant d’ordre public n’interdit aucunement qu’il soit mis en œuvre par des arbitres, la compétence arbitrale ne pouvant dès lors être écartée par ce motif.

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