Retour sur les clauses attributives de juridiction optionnelles

janvier 24, 2016

Retour sur les clauses attributives de juridiction optionnelles

Dans un arrêt en date du 7 octobre 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation (14­16.898) s’est prononcée sur deux points importants relatifs à la clause attributive de juridiction de l’article 23 du Règlement 44/2001.

Tout d’abord, elle a précisé la notion de clause attributive de juridiction potestative considérant qu’une clause qui impose à une partie de saisir les juridictions d’un État membre spécifique et qui permet à l’autre partie de saisir de manière optionnelle une autre juridiction n’est pas potestative dès lors que cette clause permet d’identifier les juridictions éventuellement compétentes. Cette clause répond à l’impératif de prévisibilité du Règlement 44/2001.

Ensuite, la Cour de cassation a précisé l’interprétation qui doit être faite de l’article 23§1 dans le cadre d’une demande en réparation qui suit une infraction à l’article 101 du TFUE sur les accords anticoncurrentiels. L’article 23§1 permettant alors de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans les contrats de livraison, même si une telle prise en considération a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5 point 3 et/ou 6 point 1 du règlement à condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence.

En l’espèce, la société eBizcuss avait conclu un contrat avec la société Apple Sales International afin que lui soit reconnue la qualité de revendeur agréé des produits de la marque. Ce contrat contenait une clause attributive juridiction.

La société eBizcuss a assigné les sociétés Apple en réparation devant les juridictions françaises en invoquant des pratiques anticoncurrentielles et des actes de concurrence déloyale. Elle se prévalait, d’une part, du caractère potestatif de la clause d’élection du for qui lui imposait de saisir les juridictions d’un État membre alors qu’elle réservait à l’autre partie la faculté de saisir d’autres juridictions et, d’autre part, du fait qu’une clause attributive de juridiction permettant potentiellement de saisir les juridictions d’un état tiers n’entrait pas dans le champs de l’article 23.

Les sociétés Apple ont soulevé une exception d’incompétence au profit des juridictions irlandaises désignées par la clause attributive de juridiction qui a été accueillie par la Cour d’appel retenant que la clause contenue dans les contrats a vocation à s’appliquer « à tout litige né de leur exécution ».

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel.

En premier lieu, elle a considéré que la Cour d’appel a exactement déduit qu’une clause attributive optionnelle qui permet d’identifier les juridictions éventuellement amenées à se saisir d’un litige opposant les parties à l’occasion de l’exécution ou de l’interprétation du contrat répond à l’objectif de prévisibilité que doit satisfaire une clause d’élection de for.

Cette solution doit être rapprochée de celle de l’arrêt rendu le 26 septembre 2012 (11­26.022) par lequel la Cour de cassation avait décidé qu’une clause attributive de juridiction imposant à une partie de saisir les juridictions du Luxembourg mais permettant à l’autre partie d’agir devant « tout autre tribunal compétent » ne liait qu’une seule partie et présentait donc un caractère potestatif contraire à l’objet et à la finalité de l’article 23 du Règlement 44/2001.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 octobre 2015 n’est pas un revirement de jurisprudence. Il vient compléter l’arrêt de septembre 2012 et préciser que le seul fait qu’une clause attributive de juridiction offre une option unilatérale ne lui donne pas de caractère potestatif. Les clauses optionnelles unilatérales sont compatibles avec le Règlement 44/2001 dès lors qu’elles permettent d’identifier les juridictions pouvant être compétentes. Ces clauses ne sont potestatives que lorsqu’une partie dispose d’une possibilité de choix arbitraire du juge compétent alors que l’autre partie est contrainte d’agir devant les juridictions d’un état désigné. Cette précision est louable car ce type de clauses d’élection du for est de plus en plus courant.

Au visa de l’article 23, la Cour de cassation a décidé en second lieu que l’article 23 paragraphe 1 doit être interprété en ce sens qu’il permet dans le cas d’une action en réparation en raison d’une infraction à l’article 101 du TFUE de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison même si cela a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux article 5 point 3 et/ou 6 point 1 du règlement à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence.

La Cour de cassation reprend expressément la solution de l’arrêt Cartel Damage Claims c/Akzo Nobel et autres rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 21 mai 2015 (C­352/13).

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