La Cour de cassation revient sur les critères des immunités des Etats et de leurs émanations Pourvoi n°19-25.404 - Par Me Alexandre Malan et Emma Brebant

janvier 9, 2023

C’est un arrêt important qu’a rendu la Cour de cassation en sa première chambre civile le 3 novembre 2021 concernant les immunités de juridictions de l’Etat.

En l’espèce, l’arrêt rendu par le tribunal d’arrondissement d’Amsterdam du 27 septembre 2000, a prononcé la condamnation de la société Rasheed Bank, émanation de l’Etat irakien, à lui payer diverses sommes. La société Citibank a fait pratiquer, le 28 juillet 2011, entre les mains de la société Natixis, une saisie conservatoire de créances, convertie en saisie-attribution par acte du 26 juin 2014, à la suite de l’exequatur de la décision néerlandaise. La société Rasheed Bank a saisi le juge de l’exécution d’une contestation de cette saisie. En l’espèce, ce n’est pas l’Etat Irakien qui se prévalait de l’immunité, mais l’émanation de l’Etat, la société Rasheed Bank.

Dans cet arrêt du 3 novembre 2021, la Cour met fin à la jurisprudence de principe Eurodif au motif que les biens de l’émanation d’un Etat, pour qu’ils soient saisissables, ne doivent pas nécessairement avoir « un lien avec la demande en justice, mais que ceux-ci doivent avoir un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée » et par conséquent donne une nouvelle lecture de l’article L. 111-1-2 du Code de Procédures civiles d’exécution. De fait, la Cour de cassation rappelle que la condition de l’existence d’un lien entre le bien saisissable et l’activité en litige n’est pas contraire au Droit international coutumier, l’article 19 de la Convention des Nations Unies ne précisant rien à cet égard.

Pour rappel, la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles du 2 décembre 2004 a été ratifiée le 12 décembre 2011 en France, sans entrer en vigueur. Toutefois, l’arrêt Eurodif de 1984 admettait que l’immunité d’exécution dont jouissait l’Etat étranger était de principe, sauf lorsque le bien saisi se rattachait à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donnait lieu à la demande en justice.

L’article 19 de la Convention des Nations Unies de 2004 a été transposé à l’article L.111-1-2 du code de procédure civile d’exécution par l’entrée en vigueur de la loi Sapin II en 2016. Cette disposition reprend trois conditions alternatives pour permettre la saisie des biens appartenant à un Etat étranger. Il est nécessaire : soit que l’Etat ait consenti à l’application de la mesure en renonçant à son immunité ; soit que l’Etat ait réservé le bien à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de la procédure ; ou enfin, qu’il fasse l’objet d’une utilisation autre qu’à des fins de services publics non commerciaux, selon la Cour. Cette dernière condition a été reprise par la Cour de cassation dans cet arrêt du 3 novembre 2021, et diffère pourtant de l’argumentation de la Cour dans l’arrêt Eurodif qui imposait l’existence stricte d’un lien avec la demande en justice.

Selon la Cour de cassation, le rejet de la demande de Rasheed Bank par la Cour d’appel de Paris est bien fondé en ce qu’elle considère que le droit international coutumier, tel qu’il ressort de la Convention de 2004 exige seulement que le bien en question soit utilisé autrement qu’à des fins de service public non commercial et qu’il possède un lien avec l’entité contre laquelle la procédure est intentée.

La Cour d’appel de Paris fonde finalement sa décision à travers le prisme de trois ordres juridiques : le droit français, le droit européen et le droit international public. Elle précise que l’ajout d’une condition supplémentaire qui n’était pas prévue par les textes constitue une «atteinte disproportionnée et sans but légitime au droit à l’exécution forcée des décisions de justice du créancier» garanti à l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En effet, la jurisprudence Eurodif restreignait trop les possibilités de saisie sur les biens appartenant à l’Etat.

Cette décision est conforme à l’orientation rendue par la Cour Internationale de Justice, qui avait déjà été reconnue le 3 février 2012 dans l’affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat.

La Cour de cassation consacre ainsi l’évolution du droit international des immunités de juridiction en remplaçant le lien avec la demande en justice par la seule exigence d’un lien entre l’entité et la demande.