Quel est l’impact du Brexit sur le contrat soumis au droit anglais? La décision rendue par la High Court of Justice du Royaume Uni (Chancery Division (Royaume-Uni), 20 février 2019, [2019] EWHC 335 (Ch) Claim n° : PT-2018-000505) dans cette affaire permet de donner un éclairage des conséquences du Brexit sur les contrats en cours soumis au droit anglais. En particulier, il s’intéresse à la question de savoir si une partie peut solliciter la résiliation du contrat du fait de la modification du contexte économique découlant de l’intervention du Brexit.
Dans cet arrêt de la High Court of justice du Royaume-Uni, les effets du Brexit sont analysés sous le prisme de la théorie de la frustration. La question est de savoir si cette théorie, comparable en droit français à la force majeure ou à l’imprévision, peut venir s’appliquer aux relations contractuelles perturbées par le Brexit.
L’agence européenne du médicament occupait des locaux à Londres qu’elle louait au groupe Canary Wharf. En conséquence du Brexit, le règlement (EU) 2018/1718 du Parlement et du Conseil du 14 novembre 2018 imposait à l’agence de transférer son siège à Amsterdam, et donc de quitter ses locaux londoniens.
Le bailleur, le groupe Canary Wharf, a refusé de mettre fin au contrat de bail et l’agence devait donc continuer à payer son loyer. L’agence a engagé une action devant la High Court of justice en se basant sur la notion de frustration pour faire constater un changement irrésistible de circonstances la libérant de ses obligations contractuelles.
La définition de la frustration est précautionneusement rappelée par la cour dans son arrêt.
Dans un premier temps selon la cour, la théorie de la « frustration » permet au juge de libérer les parties de l’exécution d’un contrat lorsqu’un changement de circonstances extérieur aux parties transforme de manière décisive le sens de leurs obligations. En pratique cette conception de la frustration consiste à rechercher le projet commun des parties au moment de la signature du contrat, et de voir si ce projet est remis en cause par les circonstances nouvelles. Le « projet commun » est quelque chose d’assez insaisissable, qui se caractérise par une appréciation générale du contrat, comparable en France à l’économie générale du contrat.
La High Court constate qu’une clause du contrat permet la sous location de l’immeuble, ainsi les parties avaient bien envisagé que l’agence puisse quitter les locaux. Elle conclut donc que le projet commun des parties n’est pas remis en cause par les circonstances découlant du Brexit, et que l’exécution du contrat est simplement devenue plus onéreuse pour l’agence.
Dans un second temps, une autre conception de la frustration est abordée par la cour. Il y a frustration empêchant l’exécution d’un contrat s’il est affecté par une illégalité surgie après sa conclusion.
Là aussi, la cour refuse de libérer l’agence de son obligation en retenant notamment que si le transfert de son siège s’impose effectivement à l’agence, cela fait suite à une décision politique de l’Union Européenne qui fait là un usage de sa liberté de décision. Ainsi ce n’est pas le Brexit qui rendait la présence de l’agence en Angleterre illégale, mais une décision librement prise par l’Union Européenne.
En conclusion, cet arrêt permet d’envisager avec un peu plus d’acuité la manière dont les juridictions anglaises vont appréhender le bouleversement de certaines relations contractuelles suite au Brexit. Il semble que même un contrat transfrontalier dont l’exécution serait devenue radicalement plus onéreuse pour l’une des parties ne saurait bénéficier de la théorie de la frustration. Or de nombreuses conséquences du Brexit peuvent rendre l’exécution d’un contrat plus onéreuse, sans pour autant la rendre impossible. On pense par exemple à une augmentation des droits de douanes…
Cependant nous pensons qu’il faut se garder de tirer des conclusions trop hâtives suite à cet arrêt. La solution de ce dernier est inextricablement liée aux circonstances de l’espèce et notamment à la position spécifique qu’occupe l’agence en tant qu’organe de l’union. Bien qu’elle donne une piste sur l’application de la frustration par les juridiction anglaises, il ne faut pas forcément généraliser cette solution à toutes les relations contractuelles qui peuvent prendre des formes très diverses.
(article écrit avec Romain Sans, stagiaire)