Retour sur le principe de loyauté procédurale en arbitrage : le refus de payer sa quote-part des frais par une partie est-il systématiquement déloyal ? Alexandre Malan (en collaboration avec Emma Brebant)

mai 24, 2023

Dans un arrêt du 9 février 2022, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’Appel de Pau du 5 novembre 2020 opposant les sociétés Pastificio service, La Tagliatella et Amrest Holdings à Monsieur [K] [B], la société Tagli’apau et la société Ekip’.

En l’espèce, il s’agit d’une affaire opposant un franchisé, Taglia’Apau, à un franchiseur Pastificio, (dont la société La Tagliatella vient aux droits). Taglia’Apau a saisi la CCI d’une demande d’arbitrage, Pastificio, La Tagliatelle et Amrest Holdings ont refusé de procéder au paiement de la provision, arguant en particulier du montant excessif de la demande d’arbitrage au regard de la réalité du litige, augmentant mécaniquement et artificiellement les frais d’arbitrage calculés sur le montant de la réclamation. La demanderesse n’ayant pas avancé les frais du défendeur, comme le permet le règlement d’arbitrage de la CCI, la Cour a retiré l’affaire du rôle. C’est dans ces conditions que le liquidateur judiciaire de Taglia’Apau a assigné Pastificio, La Tagliatella et Amrest Holdings devant le tribunal de commerce de Pau. Les défenderesses ont cependant soulevé l’incompétence du juge judiciaire au profit de l’arbitrage, compte tenu de l’existence d’une clause d’arbitrage CCI dans le contrat. La cour d’appel de Pau a statué dans le même sens que le Tribunal de commerce en relevant l’incompétence des juridictions étatiques.

Tagli’apau a formé un pourvoi contre les sociétés Pastificio, La Tagliatella et Amrest Holdings.

La Cour de cassation consacre un nouveau principe de « loyauté procédurale régissant les parties à une convention d’arbitrage ».

Sur ce fondement, la Cour a estimé que « les sociétés Pastificio service, La Tagliatella et Amrest Holdings, qui avaient elles-mêmes provoqué le retrait de la demande d’arbitrage par la CCI en ne s’acquittant pas de la part de provision sur frais leur incombant, n’étaient pas recevables, pour décliner la compétence de la juridiction étatique, à invoquer la clause compromissoire ».

Par arrêt du 31 octobre 2022, la cour d’appel de Bordeaux, statuant sur renvoi, a rendu un arrêt a suivi la position de la Cour de cassation, et a pu «considérer qu’elles [les appelantes] ont « volontairement choisi » de ne pas respecter la procédure prévue dans le cadre de l’arbitrage, mais bien plutôt que l’attitude dilatoire des intimées leur a fermé ce recours dont le sort a été lié à celui de la procédure principale empêchée par le comportement des intimées. »

La cour expose alors que « Les appelantes sont par ailleurs fondées à soutenir que ce comportement, qui manifeste la déloyauté procédurale des intimées, en totale violation du principe de loyauté procédurale qui régit les parties à une convention d’arbitrage, les rend irrecevables à se prévaloir de la procédure applicable dans le cadre de cette convention. »

La cour d’appel déclare alors la société Ekip’, la société Tagli’apau et M. L. K. recevables en leur demande et condamne Pastifico, La Tagliatella, Amrest Holdings « au remboursement exposé en pure perte par les appelantes dans le cadre de la procédure d’arbitrage ».

On relèvera la position nouvelle de la Cour de cassation sur le paiement des frais d’arbitrage, qui appelle de nombreuses observations. On se contentera d’en apporter quelques-unes.

Tout d’abord, l’assimilation du non-paiement des frais à une renonciation volontaire à se prévaloir de la clause d’arbitrage paraît contestable. Les raisons d’un non-paiement peuvent être multiples, et sans lien avec une telle renonciation. Dans la présente affaire, le défendeur faisait valoir que le montant de la demande indemnitaire était sans lien avec la réalité de l’affaire, gonflant mécaniquement les frais d’arbitrage, fixés en pourcentage de la demande. La Cour n’a pas entendu répondre à cet argument, pourtant légitime, qui pointait un autre type d’abus, ici passé sous silence par la haute Cour. En outre, l’article 37(5) du Règlement de la CCI prévoit expressément la faculté pour le demandeur de se substituer au défendeur en procédant au paiement de l’avance en lieu et place du défendeur. Cet article ne tire aucune conséquence du défaut de paiement, contrairement à la Cour de cassation, qui l’assimile à une renonciation volontaire à l’arbitrage. L’adhésion des parties au règlement d’arbitrage ne saurait, à notre sens, être interprété au-delà des termes mêmes du règlement incorporant leur volonté. Dès lors que le règlement ne prévoit pas une telle conséquence, il paraît excessif d’interpréter la volonté des parties, surtout lorsqu’il s’agit de la renonciation à un droit qui, conformément à jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, ne se présume pas.

La solution, si elle présente le mérite de l’efficacité, présente aussi de graves inconvénients. Outre qu’elle sollicite par trop la volonté des parties, elle met le défendeur à la merci du demandeur, renversant ainsi la préoccupation pourtant légitime de loyauté formulée par la Cour. Quid en effet d’une demande pécuniaire excessive ou d’une impécuniosité du défendeur, qui peut légitimer un tel refus de payer sa quote-part d’avance par le défendeur ? La renonciation induite de l’arbitrage peut l’exposer, dans certains cas, à une procédure judiciaire non voulue contractuellement, parfois devant le for judiciaire du demandeur. L’article 37(5) du Règlement CCI se traduisait par un rééquilibrage en cours (par exemple avec la faculté pour le tribunal arbitral d’octroyer une provision en cours d’instance ou d’ordonner la constitution de garanties) ou en fin de procédure d’arbitrage (par l’allocation finale des frais, qui pourra d’ailleurs être modulée en prenant en compte l’attitude des parties en cours de procédure, y compris un refus de paiement non justifié des frais par l’une des parties). On regrettera donc que la solution imposée par la Cour de cassation retire aux arbitres ces instruments de rééquilibrage, et surtout la faculté d’apprécier l’attitude des parties et les motifs de leur attitude procédurale et d’en moduler les conséquences in concreto dans le cadre de la procédure d’arbitrage. Elle revient à imposer aux parties le strict paiement de leurs quotes-parts de frais, sans tenir compte des situations concrètes qui pourraient légitimer certaines situations particulières.