Le nouveau régime communautaire des actions en réparation pour infractions au droit de la concurrence (Directive 2014/104/UE)

janvier 4, 2017

La Directive relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres de l’Union européenne (Directive 2014/104/UE) a été publiée le 5 décembre 2015 dans le Journal Officiel de l’Union européenne. Les Etats membres disposent d’un délai de deux ans pour transposer cette Directive dans leur droit national.

La directive s’articule autour de deux objectifs : assurer l’effectivité du droit à réparation intégrale des victimes de dommages concurrentiels et optimiser l’interaction entre l’application du droit de la concurrence par la sphère publique et la sphère privée.

Ce document met en évidence les éléments clés de la Directive sur les actions en dommages et intérêts relatives aux pratiques anticoncurrentielles.

Réparation intégrale

La Directive 2014/104/UE établit le principe de la réparation intégrale du préjudice subi par les victimes des pratiques anticoncurrentielles. Elle exclut les dommages et intérêts punitifs.

Production de preuves

La Directive 2014/104/UE tente de remédier à ce qu’on a généralement qualifié d’ «asymétrie d’information » dans le cadre des actions en dommages et intérêts relatives aux pratiques anticoncurrentielles. Si la directive reconnaît un droit à la divulgation des preuves (art. 5), elle vient également l’encadrer très strictement.

L’objectif recherché par la directive est d’assurer que tous les États membres accordent un accès effectif minimal aux éléments de preuve dont les parties ont besoin pour démontrer le bien­fondé de leur demande de dommages et intérêts.

Néanmoins, la directive conditionne largement la demande et la divulgation des pièces. D’une part, le demandeur devra apporter une justification motivée permettant d’étayer la plausibilité de sa demande, et d’autre part, le juge national pourra ordonner la divulgation d’éléments de preuve détenus par la partie adverse ou un tiers à la suite d’un contrôle strict sur la nécessité, l’étendue et la proportionnalité de la demande de divulgation (art. 5.3). De plus, deux restrictions à la divulgation des preuves sont expressément énoncées par la directive.

Les juridictions nationales ne peuvent autoriser la divulgation de documents lorsqu’elle risque de porter atteinte au secret professionnel, et les documents communiqués aux personnes privées à l’origine d’une action en dommages et intérêts ne doivent pas porter atteinte à la tenue de l’instruction par les Autorités de concurrence (art. 7). Ces dispositions soulignent la volonté de préserver l’efficacité de la mise en œuvre des règles de concurrence dans la sphère publique.

Surtout, la divulgation des éléments de preuve ne doit pas compromettre l’efficacité des programmes de clémence et des procédures de transaction. En excluant de toute communication les déclarations d’entreprises effectuées en vue d’obtenir la clémence, la directive prévoit une solution plus restrictive que celle de la jurisprudence de la Cour de Justice.

En effet, la Cour avait eu l’occasion de se prononcer sur cette question de l’accès aux documents de clémence. Ainsi, la Cour avait laissé aux États membres le choix de déterminer les conditions dans lesquelles un tel accès doit être autorisé ou refusé à la suite d’une mise en balance des intérêts à protéger (CJCE, 14 juin 2011, aff. C­360/09, Pfleiderer c/Bundeskartellamt ECLI:EU:C:2011:389). Elle a également exclu toute solution trop rigide qui reviendrait à rendre excessivement difficile l’exercice du droit à réparation que les victimes tirent du droit de l’Union. Selon elle, la nécessaire protection de l’efficacité des programmes de clémence ne pouvait justifier une exclusion générale (CJUE, 6 juin 2013, aff. C­536/11, Donau Chemie ECLI:EU:C:2013:366).

Effet des décisions des ANCS

Les décisions de la Commission Européenne qui constatent les infractions au droit de la concurrence sont déjà obligatoires pour les juridictions nationales, en vertu de l’article 16 (1) du règlement 1/2003.

La Directive impose désormais la reconnaissance des décisions prises par les autorités nationales de concurrence. Une telle disposition est très pratique en cas de follow­on actions. Ainsi, une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours doit être considérée comme établie de manière irréfragable par les États membres aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales. Lorsqu’une décision définitive est prise dans un autre État membre, cette décision finale peut être présentée devant les juridictions nationales des États membres au moins en tant que preuve prima facie qu’une infraction au droit de la concurrence a été commise.

Délais de prescription

Selon la Directive, le délai de prescription pour intenter une action en dommages et intérêts est de cinq ans à compter de la connaissance de l’infraction et de l’identité de son auteur. Néanmoins, si une autorité de la concurrence engage une procédure pour une infraction, ce délai est suspendu et recommence à courir à compter d’une année suivant la décision définitive de l’autorité de concurrence.

Le délai de prescription fixé pour intenter une action en dommages et intérêts est également suspendu pendant la durée de toute procédure de règlement consensuel du litige. Cette suspension ne s’applique qu’à l’égard des parties qui participent ou ont participé à ladite procédure ou y ont été représentées.

Responsabilité solidaire

Les entreprises qui ont enfreint le droit de la concurrence par un comportement conjoint sont solidairement responsables du préjudice causé par l’infraction au droit de la concurrence. Chacune de ces entreprises est tenue d’indemniser le préjudice dans son intégralité et la partie lésée a le droit d’exiger de chacune d’elles la réparation intégrale de ce préjudice jusqu’à ce qu’elle ait été totalement indemnisée.

Par dérogation, lorsque l’auteur de l’infraction est une petite ou moyenne entreprise (PME), il n’est responsable qu’à l’égard de ses propres acheteurs directs et indirects, lorsque sa part de marché sur le marché concerné est inférieure à 5%. En ce qui concerne les bénéficiaires d’une immunité, ils sont solidairement responsables du préjudice à l’égard de leurs acheteurs ou fournisseurs directs ou indirects et à l’égard d’autres parties lésées uniquement lorsqu’une réparation intégrale ne peut être obtenue auprès des autres entreprises impliquées dans la même infraction au droit de la concurrence.

Répercussion du surcoût et droit à réparation intégrale

Afin d’éviter toute réparation excessive, la Directive dispose que les États membres doivent élaborer des règles procédurales appropriées pour garantir que la réparation du dommage réel à tout niveau de la chaîne de distribution n’excède pas le préjudice du surcoût subi à ce niveau.

Ainsi, le défendeur à une action en dommages et intérêts peut invoquer, comme moyen de défense contre une demande de dommages et intérêts, le fait que le demandeur a répercuté, en tout ou en partie, le surcoût résultant de l’infraction au droit de la concurrence (passing­on defence). La charge de la preuve de la répercussion du surcoût incombe au défendeur, qui peut raisonnablement exiger la production d’informations par le demandeur ou par des tiers.

Quantification du préjudice

La Directive établit une présomption que les infractions commises dans le cadre d’une entente causent un préjudice. L’auteur de l’infraction peut renverser cette présomption.

Les États membres veillent à ce que ni la charge ni le niveau de la preuve requis pour la quantification du préjudice ne rendent l’exercice du droit à des dommages et intérêts pratiquement impossible ou excessivement difficile. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales soient habilitées, conformément aux procédures nationales, a estimer le montant du préjudice, s’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles.

Règlement consensuel des litiges

Afin de réduire l’incertitude pour les auteurs de l’infraction et les parties lésées, la Directive encourage les parties à se mettre d’accord sur la réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence au moyen de mécanismes de règlement consensuel des litiges, tels que les règlements amiables (qui peuvent être homologués par le juge), l’arbitrage, la médiation ou la conciliation.