Par Alexandre Malan, Associé
C’est en ce sens que se prononce la Cour de cassation, dans un arrêt remarqué et très critiqué en date du 15 juin 2023 (n°21-20538). Dans cette affaire, un agriculteur agissait en responsabilité contre l’installateur de panneaux photovoltaïques défectueux, qui a exercé une action récursoire contre le fabriquant néerlandais et le fournisseur également néerlandais d’une pièce, tous deux assurés aux Pays Bas.
Retenant la responsabilité des deux fournisseurs néerlandais sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, se posait la question de la garantie de leurs assureurs, dans la mesure où ceux-ci opposaient des clauses d’exclusion. Le demandeur opposait l’article L113-1 du Code des assurances, et faisaient valoir que l’exclusion ne lui était pas opposable, la clause n’étant pas formelle et limitée, comme l’exige cette disposition, et ne figurant pas en caractère très apparents, comme le prévoit l’article L112-4 du même Code.
Les contrats d’assurance souscrit par les fournisseurs néerlandais auprès de compagnies néerlandaises était soumis au droit néerlandais, qui ne comportait pas de dispositions similaires et validait l’exclusion en cause.
Cependant, la Cour de cassation devait considérer la garantie acquise, écartant ainsi la clause d’exclusion au motif que « qu’en matière d’assurance de dommages non obligatoire, les dispositions d’ordre public des articles L112-4 et L113-1 du Code des assurances sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat ».
Ce motif général appelle les plus grandes réserves, tant il va à l’encontre des théories les plus admises du droit international privé. En effet, et en premier lieu, l’arrêt confond dispositions d’ordre public et lois de police internationales. Le code des assurances contient de nombreuses dispositions d’ordre public, qui s’imposent aux parties. Ces mêmes dispositions ne sont pas nécessairement des lois de police, qui sont des lois s’imposant aux parties « quelle que soit la loi applicable au contrat », au sens de l’article 9 du Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
Il est admis, en droit international privé, que le juge qui identifie et impose la mise en œuvre d’une loi de police doit déterminer son champ d’application dans l’espace, par le biais de critères de rattachement. Par exemple, il a été défini par la Cour de cassation que la loi du 31 décembre 1975 sur la protection des sous-traitants s’impose à tous les contrats lorsque le chantier est en France (Civ.3, 30 janvier 2008, n°06-14.641).
En l’espèce, nulle trace d’une telle définition. On s’interrogera légitimement sur l’étendue donnée par la Cour à une telle loi de police française, alors que le contrat d’assurance avait été souscrit aux Pays-Bas, auprès d’une compagnie néerlandaise, par un assuré ayant son siège social dans ce pays. Le risque s’établissait donc dans ce pays, comme le prévoit d’ailleurs l’article L310-5 du Code des assurances, qui considère que le risque est localisé au lieu où le souscripteur dispose de son domicile ou de son établissement.
Le risque n’était donc pas localisé en France au sens du Code des assurances. En outre, la solution donnée par la Cour contrevient à la prévisibilité contractuelle, les parties au contrat d’assurance ayant la liberté de choisir la loi applicable à leur contrat, et alors même que ce choix, en l’espèce, correspondait au lieu de situation du risque au sens de la loi et que le lieu de situation du risque dicte la loi applicable à défaut de choix selon l’article 8.3 du Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
Le caractère universel ainsi donné à la loi française défie donc les principes les mieux établis du droit international privé, et vient contredire la faculté de choix de la loi offerte par le Règlement Rome I, sans que la Cour de cassation n’identifie les rattachements particuliers avec la France qui justifient l’extraterritorialité ainsi donnée à la loi française.
S’agissant d’un contrat d’assurance, pour lequel, par définition, la prévisibilité est l’essence même du contrat, tant pour l’assuré que pour l’assureur, la solution heurte.
Il faut donc en déduire que la Cour de cassation a voulu offrir à la victime française une indemnisation qu’elle n’aurait sans doute pas obtenue à défaut d’assureurs, alors qu’il était par ailleurs constaté la situation d’insolvabilité des autres défendeurs, et en particulier des fabricants.
On regrettera donc, avec le Professeur Heuzé dans sa chronique à la RGDA, que la Cour de cassation ait sacrifié à la prévisibilité, en donnant au droit français un caractère quasi universel, pour préserver les intérêts de la victime dans un cas d’espèce, et alors même que les liens du droit français avec le contrat d’assurance n’étaient pas caractérisés.