Dans un arrêt du 8 octobre 2013, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation a considéré que commet une faute engageant sa responsabilité le commettant qui désigne un repreneur avant de procéder à la résiliation du contrat le liant à son distributeur.
L’affaire
Dans cette affaire, le concédant était au courant d’une négociation entre son concessionnaire et le repreneur, puisqu’il avait lui-même désigné ce repreneur à son concessionnaire. Nonobstant cette négociation en vue de la reprise du fonds de commerce automobile, et avant que les parties ne parviennent à un accord, le concédant notifie la résiliation du contrat le liant à son concessionnaire. Malgré le respect d’un préavis de résiliation de 24 mois, le concédant est condamné à de substantiels dommages et intérêts.
Décision de la cour
La Cour admet en effet qu’il a commis une faute en procédant à la résiliation du contrat alors que les parties étaient en pourparlers de reprise avec le repreneur…désigné par le concédant lui-même, privant ainsi le concessionnaire de la possibilité de négocier un prix raisonnable de cession avec lui. La Cour admet l’octroi d’une indemnité non pas pour compenser la résiliation du contrat, que pour sanctionner l’attitude du concédant qui « avait sciemment entravé la reconversion du concessionnaire », sa bonne foi étant dès lors mise en cause (article 1135 du Code Civil). La Cour d’appel avait ainsi estimé que « si le concédant n’est tenu d’aucune obligation d’assistance à son concessionnaire en vue de sa reconversion, il doit s’il intervient dans ce processus de reconversion ( …) le faire dans des conditions loyales qui ne mettent pas l’intéressé dans une situation rendant impossible une telle reconversion ou rendant impossible de retirer la juste contrepartie d’années de développement de la clientèle ».
Or, « en précipitant la notification de sa décision de résilier, le concédant n’ignorait pas la difficulté dans laquelle il plongeait son concessionnaire, en retirant à celui-ci toute marge réelle de manoeuvre pour obtenir un prix raisonnable de la cession envisagée de ses fonds de commerce ».
Cet arrêt, au delà des circonstances d’espèce, met en exergue une situation qui est loin d’être exceptionnelle. Il n’est pas rare en effet que le concédant, avant même de procéder à la résiliation du contrat le liant à son concessionnaire, organise les conditions de la reprise du rapport de distribution par un nouveau distributeur, ce qui paraît d’ailleurs économiquement censé, tant il est vrai qu’il prendrait un risque en se déliant de son ancien distributeur sans s’être au préalable assuré que ses produits pourront continuer à être distribués par quelqu’un d’autre. Ceci n’est pas prohibé, mais tout est affaire de circonstances.
En droit français, et mise à part l’obligation de respecter un préavis contractuel, le distributeur n’est pas créancier d’une indemnité de fin de contrat, contrairement à certains droits, comme le droit belge ou le droit espagnol. La Cour de cassation a écarté les demandes d’indemnisations, qu’elles soient fondées sur la notion de contrat d’intérêt commun (dans le développement de la clientèle) ou d’enrichissement sans cause du concédant (à raison de la reprise de la clientèle dont il bénéficie de fait). En revanche, le distributeur est bien titulaire de son fonds de commerce, et peut donc parfaitement le céder. Dans ce contexte, il est évident que le contrat de distribution, surtout lorsqu’il porte sur des produits notoires, constitue un élément important du fonds, qui conditionne sa valeur. Au final, cet arrêt laisse tout de même une impression étrange.
La faute du concédant était ici d’avoir rompu le contrat en connaissance de la négociation en cours sur le rachat du fonds de commerce, négociation qu’il connaissait parfaitement puisque c’est lui qui avait présenté le repreneur à son concessionnaire. Cette solution pourra paraître un peu hypocrite. Le plus souvent en effet le concédant attendra que la résiliation effective du contrat de distribution pour faire en sorte d’assurer la reprise du secteur d’activité géographique par un nouveau distributeur qu’il aura désigné, et dont l’activité débutera lors de la cessation effective des relations avec l’ancien. La différence est maigre entre les deux schémas, et ce alors pourtant qu’une cession de fonds représente un coût financier important, coût évité dans le second schéma.
On comprend dans ces conditions l’hésitation du concédant, pris dans cette contradiction, qui devait se retourner contre lui. Cet arrêt rappelle, s’il en était besoin, que le principe de liberté de résiliation du contrat de distribution ne signifie pas absence de responsabilité dans les conditions de mise en œuvre de la résiliation.
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