Condamnation d’Amazon Illustration de l’intransigeance en matière de santé de sécurité au travail Commentaire de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 24 avril 2020, Par Me Marianne LECOT

avril 27, 2020

Entre l’impératif économique et la nécessité de préserver la santé des salariés en pleine crise sanitaire liée à l’épidémie du coronavirus, l’ordonnance rendue le 14 avril dernier par la juridiction des référés du Conseil de prud’hommes de Nanterre éclaire sur les obligations à la charge de l’entreprise et de ses dirigeants.

En dépit de la crise sanitaire actuelle, la société AMAZON avait laissé des sites ouverts en France dans lesquels des salariés continuaient de travailler afin d’assurer les livraisons.

C’est dans ce contexte particulier qu’une organisation syndicale, inquiète pour la santé et la sécurité des salariés, a usé de son droit d’alerte, se prévalant d’un danger grave et imminent, et a également fait valoir le droit de retrait des salariés.

De surcroît, l’impossibilité de faire respecter les gestes barrières et de distanciation sociale a incité l’organisation syndicale à déposer plainte pour mise en danger de la vie d’autrui.

La décision rendue à l’encontre de la société AMAZON met en exergue les risques, tant au pénal qu’au civil, auxquels s’exposent l’employeur qui ne prend pas les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité de ses salariés, davantage face aux dangers que présente le coronavirus.

La saisine de la juridiction statuant en référé a été faite sur le fondement de l’article 835 du Code de procédure civile, soit l’existence d’un trouble manifestement illicite et la prévention d’un dommage imminent.

1° Sur la demande de fermeture des sites réunissant plus de 100 salariés

Au principal, le demandeur sollicitait la fermeture de tous les entrepôts rassemblant plus de 100 salariés. Cependant, au regard des dispositions issues du décret du 23 mars 2020, la juridiction des référés a rejeté cette demande au motif que les restrictions issues de ce décret ne s’appliquaient pas aux établissements autres que les établissements scolaires et d’accueil des enfants.

2° Sur la violation de l’obligation de sécurité et la préservation de la santé des salariés

L’employeur est tenu envers ses salariés par une obligation de sécurité (article L4121-1 du Code du travail). Il en résulte que l’employeur doit empêcher le risque d’atteinte à la santé et à la sécurité de ses salariés.

A partir de là, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires qui s’articulent autour de 3 axes :
– des actions de prévention des risques : postes de travail adaptés et évaluation des risques ;
– des actions d’information et de formation ;
– la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Mais alors, que risque un employeur qui aurait failli à son obligation de sécurité à l’égard de ses salariés ?

Sur le plan civil d’abord, si un salarié a subi un accident de travail ou une maladie professionnelle liée aux conditions de travail, l’employeur s’expose à une condamnation pour faute inexcusable dès lors qu’il avait conscience des dangers et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié.

Attention, la faute inexcusable pourra être présumée si une alerte préalable a été faite auprès de l’employeur.

Plus encore, dans le cadre d’un contentieux prud’homal, l’employeur s’expose à ce que le salarié demande l’octroi de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité.

Eu égard à l’insuffisance des mesures de prévention qui auraient, selon elle, été prises, l’organisation syndicale reprochait à la société AMAZON de ne pas avoir mis en œuvre le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER) site par site, inhérents aux risques d’infection, sur le fondement de l’article L4121-1 du Code du travail.

Et, en outre, le demandeur reprochait à la société AMAZON de ne pas avoir mis en place, sur le fondement du DUER, des mesures propres à assurer la santé des salariés dans le contexte épidémique actuel, le tout en collaboration avec les comités sociaux et économiques ainsi qu’avec les organisations syndicales.

Sur ce point spécifique, le juge des référés a estimé que le trouble manifestement illicite était constitué.

La société AMAZON assurait quant à elle avoir mis en œuvre les mesures nécessaires afin d’assurer la santé de ses salariés, notamment les mesures suivantes :

– avoir modifié chaque jour le DUER ;
– avoir modifié l’organisation du travail ;
– avoir mis en place des outils de suivi des contaminations et de recensement ;
– avoir affecté des équipes dédiées pour garantir le respect, par les salariés, des mesures barrières et de distanciation sociale.

Si la juridiction a estimé que les outils de suivi des contaminations et de recensement étaient bien suffisants, elle a néanmoins considéré que le risque à l’entrée des sites, par le biais des portiques avait été sous-évalué. De plus, la présence d’ambassadeurs d’hygiène à l’entrée des vestiaires ne suffisait pas étant donné qu’aucune directive n’avait fixé le nombre maximum de salariés dans les vestiaires.

La juridiction a également jugé que les actions de prévention et de formation des salariés, notamment sur le port des gants était imparfaites, que le nettoyage des chariots laissait à désirer et qu’il existait un non-respect ponctuel des mesures de distanciation sociale.

Pour finir, la formation collégiale a reproché à la société AMAZON de n’avoir pas suffisamment évalué les risques afférents à la manipulation des cartons sur lesquels le virus aurait pu se trouver durant plusieurs heures.

En dépit des mesures prises par la société AMAZON, la juridiction a estimé qu’elles étaient majoritairement insuffisantes et que le risque de contamination pour les salariés constituait un trouble manifestement illicite.

A partir de ce constat, la juridiction a considéré qu’il fallait prévenir un dommage imminent en restreignant l’activité de la société aux seuls produits de première nécessité (alimentaires, d’hygiène et médicaux) et ce, tant que la société AMAZON n’assurerait pas un strict respect des mesures prévues à l’article L 4121-1 du Code du travail.
Cette décision illustre la rigueur avec laquelle est analysé le respect, par l’employeur, de son obligation de protéger la santé et la sécurité de ses salariés.

Une telle rigueur n’est toutefois pas l’apanage du civil, preuve en est, l’employeur risque de s’exposer à une condamnation pénale suite à la plainte pour mise en danger de la vie d’autrui déposée par l’organisation syndicale.
L’employeur doit ainsi faire preuve de la plus grande prudence en ce qu’il s’expose en diverses condamnations au-delà de celle de mise en danger délibérée.

L’entreprise personne morale s’expose à une condamnation sur le seul fondement d’une négligence, d’une imprudence ou de la violation d’une obligation générale de sécurité.

A contrario, le dirigeant de l’entreprise, bien qu’il s’expose lui aussi à des poursuites, devra avoir commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité prévue par la loi.

En la matière, les peines peuvent être sévères puisque le dirigeant peut risquer jusqu’à 3 ans d’emprisonnement si l’incapacité de travail du salarié est égale ou supérieure à 3 mois.

Si un salarié venait à décéder, le dirigeant serait passible de poursuites pour homicide involontaire dont la peine encourue est fixée à 5 ans d’emprisonnement.

Le risque pénal pesant sur l’entreprise et l’employeur est donc bien loin d’être fictif puisque des manquements constatés au civil sont susceptibles d’être exploités dans le cadre de poursuites pénales.

Tel est le cas de la société AMAZON, qui risque d’être poursuivie au pénal pour mise en danger, et qui a décidé de fermer ses sites suite à l’ordonnance rendue le 14 avril dernier.

La société AMAZON a vu son appel rejeté ce vendredi 24 avril 2020 par la Cour d’appel de Versailles. La Cour a confirmé que la société AMAZON devrait procéder, en y associant les représentants du personnel, à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de coronavirus, ainsi qu’au respect des prescriptions issues de l’article L 4121-1 du Code du travail.

La cour d’appel de Versailles a également confirmé la restriction de l’activité des entrepôts en fonction des produits livrés, tout en apportant un assouplissement.

En effet, sont autorisés la préparation et l’expédition des produits suivants :
– High tech, informatique, bureau ;
– Les produits animaliers ;
– Les produits relatifs à la santé et au soin du corps, homme, nutrition et parapharmacie ;
– Les produits alimentaires et les boissons.

Enfin, la société AMAZON a été contrainte de restreindre l’activité de ses entrepôts dans un délai de 48 heures à partir de la notification de l’arrêt.