Nouvelle extension du contrôle des sentences

juillet 20, 2020

C’est une nouvelle fois une affaire où une allégation de corruption était alléguée, qui a permis à la Cour d’Appel de Paris, dans son arrêt Sté Alstom transports SA c. Alexander Brothers du 28 mai 2019 (n°16/11182), de préciser sa position relativement à l’étendue du contrôle de l’ordre public dans le cadre du contrôle des conditions nécessaires à l’exequatur d’une sentence arbitrale internationale.

Contrôle approfondi de la cour d’appel de Paris

Dans cette affaire, la Cour d’Appel de Paris a confirmé qu’elle entendait exercer un contrôle approfondi qui donne crédit à ce qu’on a pu appeler le contrôle « maximaliste » de la conformité des sentences à l’ordre public. Elle refuse en l’espèce l’exequatur, au terme d’une analyse de tous les indices susceptibles d’être pertinents pour caractériser un contrat de corruption.

A ce titre, elle ne se limite pas aux pièces et arguments échangés par les parties dans l’instance arbitrale, mais s’autorise de contrôler les pièces non analysées par le tribunal arbitral et produits spécialement devant la Cour d’Appel en s’appuyant, « compte tenu du caractère occulte des faits de corruption » sur la réunion d’un « faisceau d’indices ».

Elle statue ainsi sur des faits non plaidés au stade de l’arbitrage. Cette extension du contrôle est motivée par l’allégation spécifique de corruption, qui justifie un tel contrôle élargi. On rattachera cette analyse élargie du contrôle aux arrêt rendus par la même Cour dans les affaires République du Kirghizstan c. Belokon (CA Paris, 21 février 2017, Rev. Arb., 2017, p. 915, note Audit et Bollée) et MK Group c/ Onix (CA Paris, 16 janvier 2018, Rev. Arb., 2018, p. 401, note Lemaire), dans lesquelles il s’agissait respectivement d’une allégation de corruption et de la violation des règles transnationales relatives à la souveraineté des peuples à disposer de leurs ressources naturelles.

Contrôle élargi de l’ordre public

Le point commun de ces affaires et d’admettre un contrôle élargi de l’ordre public, à rebours de la position traditionnelle de la Cour, exprimée dans l’arrêt Thalès et Cytec (sur lequel v. notre commentaire à LPA) selon laquelle le contrôle ne devait porter que sur les « atteinte flagrantes, effectives et concrètes », qui revenait à ne censurer la sentence qu’au terme d’un contrôle allégé portant sur les constats effectués par les arbitres eux-mêmes et l’appréciation qu’ils avaient faite des éléments du dossier. L’élargissement ainsi opéré ne porte donc pas en réalité sur la sentence elle-même, mais bien plus sur « l’insertion de la sentence dans l’ordre juridique national » afin de s’assurer que cette sentence « ne prononce pas une condamnation à payer des sommes destinées au financement ou à la rémunération d’une activité de corruption ou de trafic d’influence ».

Du point de vue pratique, on relèvera, en l’espèce, qu’elle considère que les pièces versées aux débats ne permettent pas de justifier, tant par leur nombre que par leur contenu,  du montant de la rémunération sollicitée par l’intermédiaire et le travail effectivement fourni par lui dans le cadre de son intervention. De sorte que, à défaut de travail effectif résultant des pièces du dossier (par exemple comptes rendus de réunions, correspondances, etc.) la rémunération paraissait avoir été justifiée essentiellement pour permettre la corruption d’agents publics étrangers. De ce point de vue, la Cour ne s’arrête pas aux motifs et constations opérées par le tribunal arbitral, mais procède à sa propre analyse des pièces afin de vérifier la réalité des faits de corruption allégués.

On approuvera le Professeur Loquin (JDI, 2019, p. 667) d’estimer que cet arrêts, qui vient compléter l’édifice édifié peu à peu avec les arrêts cités dans les affaires République du Kirghistan et MK group, vient redessiner les contours du contrôle de l’ordre public, et ne manquera pas de s’étendre à l’ensemble des intérêts couverts par l’ordre public, bien au delà des faits de corruption.