L’opposabilité à la victime exerçant l’action directe de la clause d’arbitrage ou de la clause attributive de juridiction contenue dans le contrat d’assurance : entre raison et déraison.
La position de la victime exerçant son action directe contre l’assureur de responsabilité, sur le fondement de l’article 124-3 du Code des assurances ou sur celui d’un autre droit (l’action directe étant connue de nombreux systèmes d’assurance) est confortable, ou inconfortable, selon qu’on lui oppose une clause d’arbitrage ou une clause attributive de juridiction.
C’est en effet deux postions radicalement opposées qui ressortent de décisions rendues à un an d’intervalle par la Cour de cassation (Civ.1, 19 décembre 2018, n°17-28.951) et par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans ses affaires Assens Havn/ Navigator Management UK Ltd (13 juillet 2017, aff. C-368/16) et KABEG c/ MMA IARD (20 juillet 2017, aff. C-340/16).
L’affaire soumise à la Cour de cassation mettait en scène une victime exerçant son action directe devant les tribunaux judiciaires français contre l’assureur d’une péniche ayant commis un dommage. L’assureur fait valoir avec succès devant les juridictions du fond l’existence d’une clause d’arbitrage dans la police d’assurance pour s’opposer à la compétence des tribunaux français. La Cour de cassation lui donne raison, au motif, bien connu des praticiens de l’arbitrage et prévu par l’article 1448 du Code de Procédure Civile, que la clause d’arbitrage n’était pas manifestement inapplicable. La règle posée par cet article est qu’en effet l’arbitre a priorité pour statuer sur sa propre compétence, de sorte que cette priorité n’est écartée que si la clause d’arbitrage est manifestement inapplicable, ce qui n’était pas le cas en l’espèce selon la Cour.
Une année plus tôt, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait adopté une position radicalement différente s’agissant de l’opposabilité au tiers exerçant son action directe, de la clause attributive de juridiction. Dans sa décision Assens Havn/ Navigator Management UK Ltd la Cour avait estimé que la clause ne lui était pas opposable, dans la mesure où il est tiers au contrat d’assurance, et qu’il est une partie faible.
En outre, selon la Cour, la responsabilité de l’assureur est contractuelle vis-à-vis de son assuré, et non contractuelle vis-à-vis de la victime tierce à ce contrat. La Cour avait déjà considéré, dans un arrêt du 12 mai 2005 (aff C-112/03, Sté financière et industrielle du Peloux) que la clause attributive de juridiction est inopposable au bénéficiaire de la police, lorsque celui-ci n’est pas le souscripteur (par exemple un adhérent dans une police d’assurance groupe).
L’arrêt KABEG c./MMA IARD va même plus loin, autorisant celui qui a payé la victime et est subrogé dans ses droits à bénéficier de la favor laesi, fût-il un autre assureur subrogé, ou bien un employeur, de sorte que la clause attributive de juridiction lui est à lui-aussi inopposable.
On voit bien la différence de traitement entre la clause attributive de juridiction, déclarée inopposable au tiers exerçant son action directe, et la clause d’arbitrage, suffisante à faire échec aux règles de compétence de droit commun, notamment celles protectrices de la victime. A vrai dire, la question aurait pu être réglée par l’article 2061 alinéa 1 du Code civil, qui prévoit qu’une clause d’arbitrage ne peut pas être opposée à une personne n’ayant contracté dans le cadre de son activité professionnelle.
Se fondant sur le raisonnement de l’opposabilité du contrat d’assurance au tiers exerçant son action directe, ce dernier pourrait à son tour se prévaloir de cet article pour rejeter la clause d’arbitrage. Reste qu’il est probable que, dans cette affaire, cet article issu de la Loi du 18 novembre 2016, n’était pas entré en vigueur.