Précisons la définition et l’évaluation du préjudice économique en droit français.

Qu’est ce que le préjudice économique ?

Si le préjudice économique correspond au manque à gagner, à ce que l’on qualifie de gain manqué en matière contractuelle, son évaluation est souvent très délicate car son importance est fonction de nombreux éléments : il ne suffit pas de démontrer que des activités économiques ont été perturbées, encore faut-il établir que cette perturbation a eu des répercussions chiffrables et tangibles qu’une juridiction sera à même de prendre en considération.

La demande en réparation d’un préjudice économique doit ainsi faire l’objet d’un calcul exact et détaillé de l’atteinte à l’activité provoquée par le dommage.

En conseillant et représentant ses clients, l’avocat spécialisé en réparation du préjudice économique doit donc être en mesure de pouvoir déterminer et d’évaluer le préjudice économique en vue de permettre sa réparation.

Composé d’avocats spécialisés en droit des affaires, le cabinet d’avocats Bélot Malan et Associés Paris se spécialise notamment dans les problématiques relatives à la réparation du préjudice économique.
Seront exposés de façon non-exhaustive ci-après les aspects tenant au caractère insuffisant de la reconnaissance du préjudice économique par le droit positif français puis les aspects relatifs aux bénéfices d’une possible reconnaissance d’un tel préjudice.

La reconnaissance insuffisante du préjudice économique par le droit français

L’absence de définition légale du préjudice économique

Le droit français ne reconnaît pas, pour l’heure, pleinement le préjudice économique, ce dernier n’apparaissant par exemple en droit positif que sous les appellations de « préjudice professionnel », « préjudice concurrentiel », « pertes d’exploitation », « incapacité temporaire totale (ITT) », « trouble commercial », sans qu’aucun lien conceptuel ne soit établies entre de telles notions, bien que ces dernières soient toutes relatives d’une atteinte à l’activité économique d’une personne.

Ce faisant, l’expression « préjudice économique » recouvre des réalités multiples. Il peut s’agir, de façon très large et non-exhaustive du préjudice commercial, du préjudice professionnel, du préjudice financier, boursier, du préjudice résultant de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, de celui résultant de la contrefaçon d’un droit privatif, du trouble concurrentiel ou du trouble commercial résultant de faits de concurrence déloyale, de la désorganisation de l’entreprise par divers moyens, de l’atteinte à la réputation consécutive au dénigrement, du parasitisme, et plus largement du dommage à l’économie en cas d’ententes illicites ou d’abus de position dominante ou encore du préjudice économique individuel né d’infractions au droit de la concurrence, du préjudice consécutif aux effets d’ombrelle sur les prix ou à des pratiques commerciales tendant à fausser déloyalement le jeu de la concurrence visées par les codes de commerce (ventes à perte) et de la consommation (publicités trompeuses, fraudes, tromperie).

La nécessité pour le juge d’identifier le préjudice économique réellement subi

Dans la mesure où, en droit français, le juge est soumis au principe de réparation intégrale, celui-ci doit parvenir à une évaluation du préjudice en termes de gains manqués et de pertes subis. Il appartient alors au juge de mettre en évidence la situation qui aurait existé en l’absence du fait dommageable en cause ainsi que la situation réelle qui s’est produite à cause du fait en cause.
Néanmoins, la nécessaire détermination du préjudice réellement subi conduit le juge à tenir compte d’éléments distincts du fait dommageable lui-même comme par exemple la capacité de production ou de vente de l’entreprise victime du dommage ou encore la période d’observation, les coûts évités et les dépenses induites, une possible interaction de causes aux effets préjudiciables, le contexte économique général ou bien l’écoulement du temps introduisant la question de l’actualisation du préjudice.

La nécessaire identification du préjudice économique par le juge ainsi que la complexité du domaine en cause conduisent donc le juge à comparer la situation qui aurait existé en l’absence du fait dommageable en cause avec celle effectivement née du fait dommageable. Le juge se trouve également conduit à placer le litige dans son contexte économique. À cette fin, il conviendra pour les parties d’introduire dans le débat les éléments liés à ce contexte économique, et ce dans la mesure où les principes directeurs du procès encadrent strictement l’office du juge.

Une reconnaissance par présomption en matière de droit de la concurrence

Plus récemment, la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne a été transposée en droit français et consacre l’existence d’un préjudice économique né de l’existence de pratiques anticoncurrentielles.

Cette transposition fait suite de l’entrée en vigueur de trois textes publiés au Journal Officiel le 10 mars 2017:
· L’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles insérant un nouveau titre VIII dans le livre IV du code de commerce,
· Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles accompagnant l’Ordonnance,
· Le décret n° 2017-305 du 9 mars 2017 relatif aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles modifiant la partie réglementaire du code de commerce.

Ces trois textes sont à l’origine de l’introduction au livre IV de la partie législative du code de commerce d’un titre VIII intitulé « des actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles » et, ainsi, des articles L. 481-1 à L. 483-11 du code de commerce.

Ce faisant, ces textes posent, en application des dispositions du nouvel article L. 481-1 du code de commerce, un principe de responsabilité selon lequel « toute personne physique ou morale formant une entreprise ou un organisme mentionné à l’article L. 464-2 est responsable du dommage qu’elle a causé du fait de la commission d’une pratique anticoncurrentielle définie aux articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1, L. 420-2-2 et L. 420-5 ainsi qu’aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».

S’agissant de la reconnaissance d’un préjudice économique, l’article L. 481-7 du code de commerce pose le principe selon lequel « il est présumé jusqu’à preuve contraire qu’une entente entre concurrents cause un préjudice ». Cette présomption de préjudice est ainsi applicable aux cas d’ententes mais pas aux abus de position dominante. Par ailleurs, le demandeur conserve à sa charge la preuve de l’étendue de son préjudice.

Néanmoins, le juge peut solliciter l’Autorité de la concurrence afin d’obtenir des orientations sur l’évaluation du préjudice dont il est demandé réparation sans que cette dernière soit tenue de répondre à cette demande, et ce en application des dispositions de l’article R. 481-1 du Code de commerce.

Les bénéfices d’une reconnaissance du préjudice économique par le droit français

Une meilleure évaluation du préjudice financier effectivement subi par la victime

Du fait de l’absence de reconnaissance par le droit français du préjudice économique, nombreuses sont les victimes qui s’estiment insuffisamment réparées de l’atteinte que leur activité a subie, du fait d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme par exemple. Les raisons de cette faiblesse des réparations sont multiples.

Elles tiennent en premier lieu au fait que les victimes et leurs conseils ne prennent pas suffisamment la peine de détailler dans leurs demandes les chefs de préjudices dont ils réclament la réparation, en les justifiant par l’apport d’éléments de preuve.

En deuxième lieu, cette faiblesse des réparations accordées peut s’expliquer par le fait que les juges du fond ont l’habitude de ne pas justifier leurs évaluations en se retranchant derrière leur pouvoir souverain d’appréciation, ce qui tend à empêcher toute systématisation de la jurisprudence par le recours au précédent.

Enfin, en troisième lieu, les magistrats tout comme les avocats ne sont pas suffisamment rompus aux techniques d’analyse et d’évaluation financières qu’exige la mesure du préjudice économique. Ce faisant, le juge se trouvera très (trop) dépendant de l’avis de l’expert qu’il nomme pour l’éclairer sur le calcul du montant du préjudice.

Il conviendrait donc d’édicter des règles plus précises, à la fois juridiques et économiques, présidant à l’évaluation la plus exacte possible du préjudice subi par la victime, et ce dans le respect des principes de réparation de la responsabilité civils auxquels le régime de réparation du préjudice économique doit être conforme, comme tout préjudice.

La promotion d’une plus grande morale dans les affaires permise par une reconnaissance effective du préjudice économique

La meilleure reconnaissance et donc la meilleure réparation du préjudice sont de nature à permettre une défense plus efficace de la morale des affaires dans la mesure où celui qui porte fautivement atteinte à l’activité économique d’autrui doit voir sa responsabilité civile à coup sûr engagée.

La réparation du préjudice économique dépendra en effet de son caractère légitime, ce qui implique la détermination préalable de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas, autrement dit dans quelles circonstances et dans quelle mesure il existe un droit légal de nuire. Un système de références comportementales a ainsi pu être mis en place essentiellement par la jurisprudence, en vertu duquel cohabitent autant des valeurs morales (loyauté, bonne foi) que des exigences visant à maintenir l’efficacité du processus concurrentiel du marché.

La réparation du préjudice économique dérivé sera toujours considéré comme légitime du simple fait de l’atteinte à un corps ou à un bien tandis que celle du préjudice économique pur ne le sera qu’exceptionnellement à la condition qu’une faute puisse être reprochée à son responsable. Le recours au concept de légitimité permettrait donc au juge de dire si le préjudice économique est ou non réparable lors de l’examen au fond.

La reconnaissance en droit française du chef de préjudice connu sous le nom de « préjudice concurrentiel », faisant appel à la morale des affaires pour sa réparation rendrait le rôle de cette dernière plus déterminant que jamais.