Siège social Fictivité et fraude à propos de Crim. 25 juin 2014 et Com. 21 octobre 2014

novembre 16, 2016

La jurisprudence française en matière de droit international privé des sociétés est « gagnée par l’incertitude ». Les arrêts Artifax Trading (Com. 21 octobre 2014) et Protesic (Crim. 25 juin 2014) commentés ici illustrent un décalage entre la jurisprudence pénale et la jurisprudence civile.

La jurisprudence pénale qui reste attachée à la théorie du siège social réel vient « contrebalancer » la conversion progressive de la jurisprudence française vers la théorie de l’incorporation.

L’affaire Artifax Trading

Le litige opposait deux sociétés à propos de l’acquisition d’une troisième société. La société cédée étant insolvable, l’acquéreur a agi en demandant paiement de l’indemnité au titre de la garantie d’actif et de passif et la venderesse, une société chypriote, a demandé reconventionnellement le paiement du prix.

En premier lieu, l’acquéreur se prévalait de l’irrecevabilité des conclusions d’appel de la venderesse en raison de l’irrégularité du siège social mentionné. En effet, selon lui, ce dernier était fictif car constitué d’une domiciliation auprès d’un cabinet d’avocat local sans activité locale effective. La Cour de cassation a décidé que la loi du pays de constitution était applicable à la détermination du siège. Cette solution est classique.

En second lieu, se fondant sur une série d’indices, l’acquéreur opposait le défaut de qualité et d’intérêt à agir de la société apparemment chypriote qui n’avait « aucune réalité concrète » et était « dépourvue de toute existence juridique ». La Cour de cassation rejette, estimant qu’il convient de consulter la loi dont la société relève, pour déterminer si la société est fictive.

Une solution novatrice

Cette solution constitue une innovation, un revirement clair: la fictivité doit désormais être appréciée en application de la loi étrangère dont la société relève. La jurisprudence antérieure ((92­18.946 ­ 85­18.504 ­ 86­12.032) et notamment l’arrêt Baltic Shipping, Navire Kovrov rendu en 1999 (98­13.611) qualifiait la fictivité sans tenir compte du droit du pays de constitution et appliquait le régime de droit français de la fictivité. La nouvelle solution devrait donc s’imposer sauf contrariété de la loi étrangère à l’ordre public français ou application d’une loi de police française.

Qu’en est-­il de l’appréciation de la fictivité du siège en droit français ?

Dans l’affaire Protesic, une société de transport routier établie en France où elle réalisait 99% de son chiffre d’affaires sans être inscrite au registre des transporteurs ni y avoir déclaré son personnel a été condamnée pour travail dissimulé du chef de l’abus de biens sociaux. La Cour de cassation a appliqué le droit pénal français à cette société au titre de son établissement économique en France non corrélé à son organisation.

La jurisprudence antérieure a d’abord refusé d’appliquer l’abus de biens sociaux à une société étrangère au motif que cette incrimination ne peut être étendue à une société étrangère. Puis elle a appliqué cette incrimination à une société gabonaise (sous ­filiale d’une société française), considérée par les juges comme étant française car son siège réel se trouvait en France (02­85.089). Puis dans un arrêt du 10 mars 2010, la Cour de cassation a approuvé la localisation du siège social en fonction de l’activité prépondérante de sociétés en France et la déduction de leur soumission à la loi pénale française. L’arrêt Protesic vient confirmer cette jurisprudence.

Ainsi, selon la Chambre criminelle, les dispositions en matière de délits de droit des sociétés qui s’appliquent aux sociétés valablement constituées en France doivent également s’appliquer à la société offshore sans établissement réel à l’étranger qui aurait dû selon la lettre et l’esprit du texte se constituer en France. Cette jurisprudence pourrait rencontrer deux objections.

Pourraient en effet être opposée, une atteinte au principe de légalité criminelle ou une atteinte aux libertés économiques et notamment à la liberté d’établissement du droit de l’Union européenne. La liberté d’établissement, principe de droit de l’Union européenne oblige les États membres à reconnaitre la personnalité juridique constituée en application d’une lex societatis d’un autre État membre. Cependant, reconnaître cette personnalité n’exclut nullement la mise en œuvre du droit pénal à cette société.

De plus, selon la jurisprudence de la Cour de justice, le droit local du siège réel peut être ponctuellement appliqué lorsque c’est justifié par l’intérêt général et après un contrôle de nécessité et de proportionnalité.

En définitive, la combinaison des jurisprudences précitées aboutit à admettre la compétence de la loi étrangère de l’État de constitution pour déterminer si la société est fictive, tout en autorisation l’intervention du droit français si la France constitue le lieu du siège réel et qu’il s’agit de sanctionner les tentatives de lésions des intérêts des tiers ou du public.