L’abus dans la relation commerciale La stipulation d’une loi étrangère et d’une clause d’arbitrage dans un contrat international matérialisent­-ils l’abus dans la relation commerciale au sens de l’article L.442-­6 du Code de commerce ? (CA Paris, 18 mars 2014 (n°12/13601))

février 25, 2014

Le 1er juillet 1985 une société de droit français conclut un contrat de distribution exclusive sur le territoire français des produits de puériculture d’une société suédoise. En octobre 2010 la société de droit suédois dénonce le contrat, avec un préavis de cinq mois. Le contrat entre les parties stipule une clause d’arbitrage et prévoit l’application du droit suédois. La société française sollicite devant les tribunaux français une indemnité sur le fondement de l’article L442­-6 I 5° code de commerce sanctionnant la rupture abusive des relations commerciales établies.

La Cour d’Appel de Rennes se déclare incompétente, estimant que l’invocation de l’article 442-­6 du Code de commerce – s’agirait-­il d’une loi de police – ne met pas en échec la clause d’arbitrage, qui s’impose aux parties. Cette solution est classique, et avait déjà été évoquée dans deux Newsletters précédentes (01/11 et 03/09). Par ailleurs, le moyen tiré du déséquilibre significatif sanctionné par l’article L442­-6 I 2° du code de commerce est inopérant car la seule référence à une loi étrangère ne peut constituer un déséquilibre. De fait la clause imposant l’application de la loi suédoise ne crée aucun déséquilibre significatif. La solution ne saurait surprendre, tant la solution contraire aurait abouti à paralyser la liberté de choix de loi offerte aux parties dans les contrats internationaux, admise par la majorité des instruments internationaux (v. Règlement Rome I, article 3).

La Cour de cassation revient sur la question de la loi applicable à la rupture des relations commerciales établies (article L.442-­6 ­I ­5° du Code de Commerce) (C.Com., 20 mai 2014, Hunter Douglas et autres c/ Chavanoz et Porcher).

L’auteur de la rupture, la société Hunter Douglas, était en l’espèce une société basée aux Pays­-Bas, et son fournisseur, victime de la rupture, était une société française basée en France. Invoquant la rupture brutale, la victime sollicitait l’application de la loi française. Celle­-ci avait plusieurs titres à s’appliquer, soit en qualité de Loi de police, soit en qualité de loi du lieu du dommage, par application de la règle de conflit de loi en matière délictuelle (en cas de dissociation du lieu du fait générateur et du lieu où le dommage est subi, comme en l’espèce, il est fait application de la loi présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable, conformément aux jurisprudences Bureau Veritas du 27 mars 2007 et Gordon Brown du 14 janvier 1997 de la Cour de cassation).

En l’espèce, la Cour n’opte pas pour la qualification de loi de police. Certains juges du fond l’avaient fait, et de nombreux auteurs ont, à notre sens un peu vite (v. notre article in Contrats, Concurrence, Consommation, Mars 2010, p. 7, spéc. n°4) estimé que la Cour de cassation avait admis cette qualification. Elle applique au contraire la règle de conflit de lois en matière délictuelle, pour localiser le lieu du dommage, comme elle l’avait fait dans un précédent arrêt rendu en 2008 (Auramo France, 21 octobre 2008) en écartant là encore la qualification de loi de police.

Il en résulte, à notre sens, que l’article L.442-­6 ­I ­5° du Code de commerce ne saurait être appliqué systématiquement aux rapports internationaux dès lors qu’une entreprise française intervient, soit en tant qu’auteur de la rupture, soit en tant que victime de la rupture, et ce contrairement à ce qui a pu être affirmé par de nombreux auteurs. Cette approche doit être approuvée, car on ne comprendrait pas que la loi française, en l’espèce portant des objectifs de protection d’une partie supposée faible, vienne au soutien d’opérateurs économiques basés à l’étranger dont la loi ne prend pas en compte le même degré de protection (v. nos commentaires dans l’article précité, spéc. n°5).

Impact sur les contrats en cours ou nouveaux des sanctions économiques décidées par l’UE le 29 juillet 2014 concernant la RUSSIE.

En préalable il faut noter que l’ensemble des sanctions économiques publiées au Journal Officiel de l’Union européenne le 30 juillet 2014 ne s’appliquera qu’aux nouveaux contrats. Ainsi les effets des sanctions ne devraient pas avoir d’impact sur les contrats conclus avant la publication au Journal Officiel (ce qui pose tout de même la question préalable, et non résolue dans les textes, de définir ce qu’on entend par « nouveaux contrats », ainsi par exemple si les relations se sont nouées sans contrat cadre, mais sur la base de relations établies à partir de commandes ou de contrats successifs).

Se pose aussi la question de savoir si sont tenues de respecter ces dispositions les entités locales des entreprises européennes, implantées en Russie ou dans d’autres pays n’ayant pas adopté ces mesures. Ceci ne devrait a priori pas faire de doute s’agissant des succursales. Le doute existe cependant pour les filiales, en raison de leur personnalité juridique séparée. Ce doute est d’autant plus important si l’on considère la vocation extra­territoriale de certaines dispositions d’embargo ou de sanctions économiques, sanctionnant potentiellement les entités étrangères, même indépendantes, d’opérateurs économiques ayant un lien, même ténu, avec le pays édictant les mesures. Le fait par exemple que les transactions aient été libellées en Dollars US, et aient pu transiter par les USA (ne serait ­ce que par une chambre de compensation) a ainsi pu être considéré comme un lien suffisant avec les USA pour obliger les banques étrangères à respecter des mesures d’embargo édictées par les Etats­-Unis (récente aff. BNP Paribas).

L’ensemble des sanctions détaillées comme suit prendront effets à partir du 31 juillet 2014 :

1) Réduction de l’accès pour la Russie aux marchés des capitaux :

Les ressortissants et les sociétés de l’UE ne peuvent plus acheter ou vendre d’obligations, d’actions ou d’instruments financiers similaires nouveaux dont l’échéance est supérieure à 90 jours, émis par des banques publiques russes majeures, des banques de développement, leurs filiales hors de l’Union européenne et ceux qui agissent en leur nom. Les services liés à l’émission de tels instruments financiers, par exemple le courtage, sont également interdits.

2) Mise en place d’un embargo :

Il concerne les importations et les exportations d’armements et de matériel connexe en provenance ou à destination de la Russie. Il porte sur l’ensemble des articles figurant sur la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne.

3) Accord sur l’interdiction des exportations de certains biens et technologies :

Les exportations de biens et de technologie à double usage destinés à une utilisation militaire en Russie ou à des utilisateurs finaux militaires russes sont interdites (liste récente annexe au Règlement (CE) n°428/2009).

4) Autorisation préalable des autorités compétentes des Etats membres pour l’exportation vers la Russie de certains équipement et technologies liés au domaine de l’énergie.

Les licences d’exportation seront refusées si les produits sont destinés à l’exploration et la production de pétrole en eaux profondes, à l’exploration et la production de pétrole dans l’Arctique ou à des projets dans le domaine du schiste bitumineux en Russie.

5) Restrictions supplémentaires à l’égard de la Crimée et de Sébastopol :

L’interdiction de procéder à de nouveaux investissements en Crimée et à Sébastopol dans certains domaines.

Les marchandises originaires de Crimée ou de Sébastopol ne peuvent pas être importées dans l’UE, à moins qu’elles soient accompagnées d’un certificat d’origine ukrainien.

Ces sanctions sont susceptibles d’évoluer, mais posent déjà un certain nombre de difficultés aux opérateurs, en particulier quant à leur champ d’application (v. ci­-dessus), non défini dans les textes. Nous reviendrons sur des questions dans une Newsletter à paraître.

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